Lexique identitaire

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MIGRANTS D'AUVERGNE

I. Avant l'exode rural. Beaucoup croient que les gens d'autrefois ne bougeaient guère et que les déplacements multiples sont l'apanage de nos commodités de circulation. Or, pour constater le contraire, il n'est pas nécessaire de remonter aux grands chasseurs et aux éleveurs itinérants de troupeaux de l'époque préhistorique, aux migrations protohistoriques des Celtes ou antiques des Germains. Les hommes du moyen âge se déplaçaient, souvent sur de grandes distances : outre les pèlerins, on comptait déjà des travailleurs à la recherche de ressources, des soldats par obligation ou par goût, des fuyards... L'Auvergne d'avant la guerre de Cent Ans en a connu, car elle était déjà surpeuplée. Le Bourbonnais semble bien avoir été le siège d'une certaine instabilité, des partants vers le Bassin Parisien étant remplacés par des Nivernais et Bourguignons à l'Est et au Centre, par des Combraillais et des Marchois à l'Ouest et dans le vignoble de Saint-Pourçain. Les besoins de main d'oeuvre de la Reconstruction des Campagnes allégèrent le surpeuplement aux XV° et XVI° siècles, mais moins en Auvergne que dans d'autres régions, car elle avait été moins touchée par la crise militaro - démographique de la fin du moyen âge et les effets sociaux du mouvement furent atténués sauf dans une partie du Bourbonnais. Dès le XVII° siècle commencent les formes multiples des migrations que les ethnographes et anciens géographes appellent "traditionnelles". Elles s'organisent peu à peu selon des modalités très élaborées dans leurs destinations, leurs parcours, les métiers concernés, le déroulement des déplacements, plus souvent collectifs (groupes de migrants appelés vïjan au Nord, cola au Sud) qu'individuels. La plupart du temps, ce sont des montagnards qui vont vers les pays de plaine. Mais l'inverse peut exister : prolétaires ruraux limagnais faisant des campagnes de fauchage en altitude; et certains secteurs très fortement migrateurs envoient des migrants dans tous les milieux (plaine, montagne, au loin), telle laMontagne bourbonnaise. On distingue classiquement les types suivants :
  • migrations saisonnières pour les grands travaux d'été et d'automne, foins, moissons, vendanges... Par exemple certains habitants des Limagnes du Sud et du haut Allier faisaient des saisons interminables de fauchage, commençant précocement dans la vallée du Rhône et finissant tardivement en Aubrac. C'étaient des prolétaires ruraux.
  • migrations saisonnières inversées : alors que la majeure partie des migrants cherchaient des ressources d'hiver et faisaient les travaux d'été dans leur ferme, la Combraille (et la Marche) virent se développer les migrations d'été des maçons. Elles traduisaient la crise de l'économie rurale et portaient davantage que les autres à l'émigration définitive.
  • De même les migrations "à temps" c-à-d pour une durée pouvant atteindre plusieurs années, voire presque toute une vie de travail entrecoupée de quelques retours au pays. Le cas le plus célèbre est celui des gens du Mauriacois et de l'Aurillacois, d'abord vers l'Aquitaine et ensuite vers l'Espagne (voir Vermenouze).
Les migrants se spécialisaient souvent par métiers dominants selon les secteurs : sabotiers, boisseliers, taillandiers de la Montagne bourbonnaise, peigneurs de chanvre, rétameurs, frotteurs de parquet du Sanflorain, scieurs de long du Livradois et du Forez (cf. Arnoult A. : La grande histoire des scieurs de long, 2 volumes 1994 - 1999), colporteurs d'Arconsat et de l'Artense, marchands de toile du seuil de Landeyrat, voire mendiants dotés de certificats d'incendie de leurs biens dans quelques communes du Livradois. Selon les secteurs de départ, les destinations sont assez bien définies : gens du Sud de l'Auvergne vers l'Aquitaine, le Bas Languedoc et surtout le Bas Rhône, gens de l'Ouest vers la moitié occidentale de la France, gens de l'Est vers la partie orientale (avec cependant une forte interférence de la Normandie à la Champagne et à la région Lyonnaise). Ces migrations sont surtout internes au monde rural. Parmi elles, on a insuffisamment étudié les glissements progressifs qui, sur une longue période, aboutissent à des cumuls parfois importants : beaucoup de ces mouvements sont décelés au hasard de contrats, de notations locales, mais les noms de famille les suggèrent beaucoup plus amples qu'on ne l'imagine généralement. La plupart se situent dans une aire de la France médiane qui va du Poitou au Jura et qui n'attire pas seulement des scieurs de long mais, de proche en proche, elles finissent par devenir des migrations définitives couvrant un vaste espace médian français. L'étude, certes difficile, de tels établissements devrait être un grand chantier de l'histoire populaire de l'Auvergne. Certains mouvements en sens inverse des principaux (c-à-d vers l'Auvergne intérieure et la montagne) sont indubitables, quoique plus ténus : des noms de famille dont l'origine géographique est clairement située traduisent une migration de la Limagne vers les plateaux voisins; la Limagne centrale attire progressivement, de proche en proche, des Gévaudanais descendant le cours de l'Allier, des Nivernais passant en Bourbonnais oriental, puis en Varenne et enfin dans la Limagne marneuse et le pays des coteaux. Au cours de cette période, le migrant cherche toujours à rentrer au pays. Cependant, une émigration définitive commence soit par stabilisation professionnelle, soit par mariage, contrat de métayage ou fermage, etc... La "réunion des familles" n'est pas de mise alors : l'émigrant qui s'établit ailleurs, presque toujours masculin, est perdu pour le "pays" et seul son nom, s'il parvient à se perpétuer, témoigne encore de l'Auvergne au loin. Mais ce témoignage est impressionnant : l'anthroponymie de la plupart des régions françaises - avant tout en France médiane et orientale - porte les traces bien visibles de l'énorme torrent humain qui s'est déversé depuis l'Auvergne pendant cinq siècles, et sans doute plus longtemps si les documents permettaient de remonter au-delà. II. De l'exode rural au vidage des campagnes .L'exode rural qui se déclenche entre 1830 et 1870 devient très ample de 1880 à 1914, se poursuit sur le même rythme entre les deux guerres, devient torrentiel après 1950, aboutissant à un véritable vidage humain des campagnes les plus isolées des villes, catégorie abondante dans notre région de relief accidenté. Ayant en vue l'Auvergne, on peut distinguer deux phases qui lui sont bien spécifiques : 1. La phase de déversement vers l'extérieur qui dure jusqu'en 1920, c-à-d au grand développement des usines Michelin et, plus généralement, à l'industrialisation de Clermont puis du couloir du val d'Allier. Paris est alors la destination principale, d'abord à partir de la Basse Auvergne, fait méconnu mais important, puis (à partir de 1880) de l'Auvergne méridionale (v. Auvergnats de Paris). Mais il y a aussi les départs vers Lyon, Saint-Etienne, la vallée du Rhône, Marseille à partir du Velay et du Sud-Est de la Basse Auvergne. Vers Paris, les émigrants sont employés, petits commerçants ou pratiquent les métiers les plus durs et les plus salissants. Vers les autres destinations, ils deviennent souvent ouvriers (surtout dans la Loire où fut énorme l'émigration vellave et du Sud du Forez auvergnat ainsi que de la Montagne bourbonnaise en direction de Roanne). 2. La phase intérieure retient une grande partie de l'émigration auvergnate dans la région clermontoise, puis plus généralement dans l'axe de l'Allier qui apparaît de plus en plus comme un même ensemble urbanisé. Cependant, à partir de certaines périphéries, d'autres mouvements se maintiennent : du Bourbonnais vers le Sud du Bassin Parisien, de l'Aurillacois vers l'Aquitaine, du Velay et de la Basse Auvergne orientale vers Lyon et Saint-Etienne. Mais l'émigration "de promotion modeste" qui commença vers 1900 (instituteurs, employés des Postes, des chemins de fer, etc...) s'est beaucoup développée par la suite. D'abord avec des spécialisations locales d'origine : par exemple le haut Allier donna beaucoup de travailleurs aux chemins de fer; puis plus généralement. Les destinations se diversifièrent en fonction des affectations : Paris, le Nord et le Nord-Est, relativement déficitaires en fonctionnaires, surtout débutants, sont les principales. Le "drainage des cerveaux" (par lequel l'Auvergne pauvre qui a supporté les coûts de formation rend largement à la communauté nationale ce qu'elle reçoit en subventions) se fait au profit de Paris, de Lyon et des autres grandes agglomérations. Le courant de retraités riches vers les "pays du soleil" est plus modeste en Auvergne que dans mainte région. 3. Le vidage des campagnes écartées atteint parfois jusqu'à 80 % de pertes par rapport au maximum de population du XIX° siècle. Il présente des aspects catastrophiques dans certaines contrées (voir Cantal, * Brivadois, Caribassa). Mais il a pour pendant la rurbanisation des campagnes voisines des villes : les citadins continuent à s'installer dans ces lieux plus agréables et plus tranquilles. Les auréoles de suburbanisation, sans cesse élargies grâce à l'usage massif de l'automobile se rejoignent dans une grande partie de l'axe de l'Allier, d'Issoire à Moulins et surtout dans la Limagne clermontoise des buttes. Dans ces secteurs, la population ("ruraux non agriculteurs") augmente. 4. Le bilan démographique (natalité - mortalité) de l'Auvergne qui fut naguère très féconde est devenu très négatif. Plusieurs vagues d'immigration étrangère n'y ont rien changé : Italiens avant 1914, Italiens, Polonais, Espagnols entre les deux guerres, Portugais, Maghrébins, Turcs, gens d'origine très diverse depuis 1960 et surtout depuis 1970 - 1980. L'agglomération clermontoise est la troisième concentration portugaise de France après Paris et Lyon, mais la première en chiffres proportionnels. Une immigration de France du Nord existe depuis longtemps dans les campagnes bourbonnaises. Moins importante qu'en Limousin (et moins habilement aidée) elle tend à s'étendre à d'autres parties de l'Auvergne, principalement au département du Puy-de-Dôme, et à gagner les villes principales. Il ne faut pas oublier non plus qu'un courant discret mais bien réel amène en Auvergne depuis de nombreux siècles des gens de la Corrèze, que le bassin durollien poursuit ses échanges humains intimes avec la Loire voisine et que Montluçon fut depuis son industrialisation une destination essentielle pour les émigrants d'une moitié nord-orientale du département de la Creuse.
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