BOCAGE
Dans l'imagination d'un monde citadin qui a perdu tout contact avec la campagne réelle, le bocage est l'écho domestiqué de la "Nature" (divinisée, avec N majuscule). En tant que réalité, il est accaparé soit par des spécialistes (écologistes, naturalistes, "paysagistes"), soit par des politiciens ("écolos"). Il en résulte qu'il est très mal compris dans sa dimension géohistorique.
1. Histoire du mot. D'origine normande en français (qui, selon ses lois propres, aurait bochage, cf le bouchage médiéval), issu de boscus : buisson, taillis, il s'applique en français littéraire à un paysage ouvert piqueté de boqueteaux. C'est une variante évoluée du saltus latin, en voie de nettoyage et d'humanisation, voire totalement humanisé dans les pastorales du XVI° et du XVII° siècle (L'Astrée). A l'époque contemporaine, les géographes ont largement imposé un sens précisé : paysage enclos de haies en réseau.
2. En Auvergne le bocage a été soit une formation agro - végétale étroitement circonscrite, soit (surtout) un intrus tardif (même en Bourbonnais !). Le tableau diversifié qu'il présente dans notre région aide à comprendre à la fois le passage d'un sens français à l'autre et sa chronologie, ses tenants et aboutissants agraires (socio-économiques).
- Dans les vallées enfoncées et relativement larges, sur les grands versants utilisables dévalant des plateaux, on observe un bocage arboré dominé par le frêne, avec parfois quelques autres arbres (chêne, hêtre). Il est souvent en dessous d'une ceinture de bois conservés (Cantal, Velay). Il donne l'impression d'un éclaircissement de l'ancienne forêt, suivi d'une régularisation et de sélection (restreinte) des espèces d'arbres les plus directement utilisables. Il est manifestement l'oeuvre de la société paysanne locale.
- Le bocage de haies est :
précoce dans ses origines, diamétralement différent de sa fonction actuelle et de ses localisations habituelles à nos yeux : il entourait les champs permanents pour les protéger des troupeaux vaguant sur les jachères et communaux et il serrait de près les villages. Souvent, il a été partagé et repartagé, on le voit sur les cartes réduit à de petites parcelles (qui ne sont plus labourées). Ces aspects sont encore très fréquents dans la France centrale dans laquelle s'inscrit notre région.
tardif dans sa généralisation : il commence à s'étendre autour des domaines importants au cours de la Reconstruction des Campagnes, mais surtout après 1750 et au XIX° siècle. Après 1860 (traités de libre-échange), la crise céréalière et le désengagement de l'aristocratie rurale développent un bocage plébéien ou bocage terminal à mailles serrées, reprenant le parcellaire morcelé des anciens champs, convertis en herbages. Dans les grandes exploitations subsistantes, le bocage s'éclaircit au contraire par l'élargissement des grandes parcelles de culture (fourragère souvent) et de prairies (le plus souvent permanentes). Le bocage s'installe aussi sur les communaux partagés, où il se reconnaît par ses formes géométriques. Mais il ne s'étend pas toujours sur les bombements pauvres en sol ne pouvant donner que des pacages maigres.3. Actuellement, la "destruction du bocage" est un cliché médiatique, peut-être valable dans une partie du Massif Armoricain et de l'Ouest du Bassin Parisien, mais très exagéré en France médiane. On note les évolutions suivantes : - Les arbres ne sont plus taillés, ils deviennent énormes et nuisent aux prés qu'ils entourent .
- Il arrive que les haies soient moins régulièrement taillées. Mais, quand on connaît la diminution massive du nombre d'agriculteurs bourbonnais et la religion de "l'économie de travail" qu'on inculque systématiquement dans les écoles d'agriculture, on ne peut qu'être admiratif de voir que le bocage de la bordure nord du Massif Central reste bien entretenu.
- Un élément discriminatif important, quoique trop souvent négligé, est la présence d'arbres dans les prés enclos , soit en ligne (trace de chemins anciens), soit épars (trace de boqueteaux disparus).