BOURBONNAIS
Exemple rarissime - et pratiquement unique à ce degré de réussite - de province féodale émergée dans l'espace périphérique de civitates gauloises et gallo-romaines anciennes : Arvernie, Bituriges / Berry , Eduens /Bourgogne. Débuts obscurs au X° siècle. Les progrès eurent deux causes fondamentales :
1. La faiblesse des féodalités militaires dans une France centrale restée contrôlée par une aristocratie romanisée peu combative où les ecclésiastiques (archevêque de Bourges, évêques de Clermont et d'Autun) tenaient débonnairement le haut du pavé.
2. La protection des Capétiens qui fit aussi de la seigneurie de Bourbon un vecteur essentiel de la francisation des hautes classes. Ce facteur prit de l'ampleur à partir de Gui de Dampierre (XIII° siècle).
Grandie à l'ombre du pouvoir centralisateur capétien, la Principauté de Bourbon atteignit son maximum d'extension et de puissance à la fin du moyen âge en rattachant des provinces plus peuplées (on est à une époque où "il n'y a de richesse que d'hommes"), le Forez et surtout l'Auvergne.
La crise de la monarchie française pendant la guerre de Cent Ans ne conduisit pas la Principauté de Bourbon à la même attitude anti-française que la Bourgogne, mais à une vue par certains côtés archaïque et par d'autres très moderne d'un royaume de France décentralisé, fédéral, et gouverné par un condominium de princes du sang.
Mais les moyens n'étaient pas à la hauteur et la France se redressait : d'où la prétendue "trahison" (terme bien anachronique) à laquelle le Connétable de Bourbon fut acculé et la ruine rapide de la Principauté.
En se fixant dans une optique étroitement centraliste française, on ne voit que des côtés médiocres et banals : agents du pouvoir central, pays pauvre livré aux aristocrates venus d'ailleurs, pays sans originalité, "français moyen".
Il y a pourtant une autre lecture plus riche - et plus bénéfiquement française - de la géohistoire bourbonnaise :
- Le Bourbonnais, qui ne se limite pas au territoire de l'actuel département de l'Allier, fut préfiguré très tôt, par exemple par l'implantation solide, dès - 1200 / - 1100 d'une civilisation agraire centre-européenne et comme base de la pénétration celtique dans le Massif Central.
- Il a eu suffisamment de réalité pour survivre à travers des avatars tenaces : avant le département de l'Allier, il y eut la très intéressante Généralité de Moulins qui allait de la Marche au Nivernais, débordait largement sur le Berry et l'Auvergne et réunissait ainsi une grande partie des terres traditionnelles d'élevage du Sud du Bassin Parisien en même temps qu'elle était un carrefour de civilisation populaire.
- Loin d'être uniquement la base d'assimilation économique et culturelle de l'Auvergne à partir du Bassin Parisien, le Bourbonnais a une logique relationnelle propre Est-Ouest, incomplètement reconnue, mais qui s'est manifestée à travers les voies routières des Romains, aménageurs clairvoyants, et actuellement par la RCEA (Route Centre - Europe - Atlantique), le plus gros itinéraire transversal de camions entre Orléans et la Méditerranée
- Le Bourbonnais a une vocation de pays pionnier, développé au cours de trois vagues historiques d'améliorations agricoles : XI° - XII° siècles (colonisation des moines bourguignons), XV° - XVII° siècles (Reconstruction des Campagnes), XIX° siècle (bonifications initiées par Destutt de Tracy). Une constante géohistorique veut que toutes ces innovations se propagent de l'Est plus évolutif vers l'Ouest plus conservateur.
- De la même façon, le Bourbonnais offre le cas rare d'un réseau urbain post-antique, développé à des époques diverses : Moulins, Montluçon, Vichy. Mais seules les fonctions et les sites étaient nouveaux, des noyaux d'urbanisation existant dès la Protohistoire ou l'Antiquité dans les environs immédiats : Yzeure, Néris, (Cusset).
- Enfin, on peut dire qu'en France centrale, le Bourbonnais est "une autre façon d'être l'Auvergne" dans le sens où, lorsque celle-ci faillit à son rôle directeur, il la remplace sur le même territoire élargi comme cela se vit pendant le moyen âge. Il semble receler nombre de potentialités inexploitées grâce à l'étendue des territoires utilisables, à la facilité des communications et à l'aimable harmonie des milieux.