SAINTS D'AUVERGNE, première esquisse d'une vaste question
- Première série, les évangélisateurs, en grande partie légendaires, Austremoine et ses compagnons: Flour, Nectaire, Sirénat / Cerneuf, Mary (voir ci-après). D'autre grands saints fondateurs sont connus en Brivadois (Julien), en Velay (Georges), sur les marges occidentales de l'Auvergne (Ferréol).
- Seconde série, la plus nombreuse, les saints de l'antiquité tardive et du haut moyen âge, qui correspond à l'époque de l'établissement du christianisme:
Le Grand dictionnaire biographique du Puy-de-Dôme d'Ambroise Tardieu fournit une liste (incomplète) de 30 saints nés sur ce territoire à cette époque.
Il donne aussi 28 noms d'évêques de Clermont qui ont été sanctifiés, dont 26 du III° au VII° siècle et 2 du IX° . Parmi eux: Alyre, Vénérand, Gal, Avit, Genès, Priest, Bonnet. Le plus célèbre est Sidoine Apollinaire, V° siècle.
L'examen de cette soixantaine de noms montre que:
la plupart sont clermontois et appartiennent à la haute aristocratie arverne;
leurs déplacements les amènent en trois séries de lieux:
- Limagne et abords à l'échelle locale;
- dans un espace médioroman central, polygone dont les sommets sont Lyon, Toyes, Tours et Clermont;
- vers des lieux de pouvoir de la Gaule, du Nord-Est principalement (Austrasie) sur convocation des rois francs.
On peut donc en conclure que le christianisme s'implanta réellement à Clermont et dans l'aristocratie des environs entre le IV° et le VII° siècle, la sanctification de personnages souvent mal attestés exprimant un besoin de légitimation par la collation du plus haut grade humain de la nouvelle Eglise, la sainteté. Les deux évêques sanctifiés du IX° siècle doivent correspondre à une période de rétablissement de l'Eglise dans un contexte de troubles graves. L'aire privilégiée de relations de l'ancienne Arvernie subsiste pour l'essentiel, décalée cependant vers le Nord-Est. Le montre aussi la vie d'un des saints auvergnats les plus célèbres, Grégoire de Tours (VI° siècle).
En accord avec l'esprit du temps, il y a peu de saintes: Solange, berrichonne, deviendra populaire en Bourbonnais; d'autres (Procule, Elidie) sont des plus suspectes (voir ci-après).
Dans l'aire ethnique de l'Auvergne d'alors, les contrées bordières ont leurs propres saints : Géraud à Aurillac, Marien en Combraille, Pardoux et Silvain en Marche, Mayeul en Bourbonnais, Chafre (Théodefred) en Velay. Les lieux reculés de l'Auvergne étroite ont aussi leurs ermites sanctifiés: Ménelée et Bracchion en Combraille nord - orientale.
Parmi les saints de cette époque, plus d'un peut être soupçonné d'être un personnage fictif couvrant la christianisation d'un culte païen: Victorin au Puy-de-Dôme, Mary et Mazirand / Magerand dont la légende contient un épisode de marteau lancé au loin qui évoque le dieu gaulois Sucellos, la vierge Elidie, victime d'un seigneur lubrique reprenant un vieux thème mythique, Procule dont la légende rappelle la reine de Saba et la reine Pédauque.
Après le X° siècle, les saints deviennent très rares. Ce sont de grands personnages (Odilon au XI° siècle) ou des martyrs (Mary au XVI° siècle), quoique certains de ces derniers comme les PP. Jacques Salez et Guillaume Sautemouche, martyrisés par les Protestants en Ardèche au XVI° siècle, n'aient pas été élevés à la sainteté.
Dans les églises, en dehors de la Vierge, personnage principal du culte populaire chrétien, on peut faire beaucoup de constatations intéressantes grâce à la richesse du mobilier et de la statuaire populaire. Les saints protecteurs de la santé (Roch), du bétail (Blaise), de la vigne (Verny, Urbain, Georges plus que Vincent), des labours (Isidore) tiennent une grande place. Il y a des saints très locaux, objets d'une grande vénération populaire comme la bergère Marcelle à Chauriat. Les cultes récents ont une place notable: Jeanne d'Arc (surtout en Bourbonnais), le Curé d'Ars...
La toponymie auvergnate accorde une grande place aux saints: selon les départements, 22 à 30 % des chefs-lieux communaux portent leur nom. La forte originalité linguistique de l'Auvergne se traduit par l'arvernisation de plusieurs noms de saints: Jeures (Georges), Beauzire (Baudile), Diéry (Désir / Didier), Fargeot / Fargeol (Ferréol)... Il peut aussi y avoir des "faux saints", certains toponymes ne ressemblant à rien de reconnaissable, surtout dans les "campagnes profondes" de l'Ouest auvergnat.
La question du rayonnement des saints auvergnats hors d'Auvergne et de la pénétration d'autres cultes régionaux est trop vaste pour être traitée en détail ici. On suit certains cheminements: les Poitevins Hilaire, Arthème, Radegonde par la bordure nord du Massif Central. La grande masse des saints toponymiques auvergnats vient du Centre-Est (Médioromanie orientale, axe de la Saône et du Rhône) entre Vienne et Auxerre. La Bourgogne a beaucoup fourni en accord avec l'importance de relations privilégiées pendant tout le moyen âge, le Berry un peu moins malgré l'appartenance de l'Auvergne à l'archidiocèse de Bourges, le Limousin et la France du Nord peu. Quelques méridionaux aquitano - catalans (Cernin / Saturnin, Eulalie, Urcize, Sigolène) ont pénétré au Sud-Ouest surtout, isolément ailleurs.
Des hagionymes (toponymes d'après des saints) existent dans les noms d'écarts. Certains sont peu banals (Argier, Corre, Dost, Gérier, Gobin, Mayard, Rondin, Vallière (03), Bard, Don, Yvoix, Ste Singe (63), Douly, Meyras, Vosy (43), Rames, Rouffy, Sol (15). Certains sont bien réels (Vosy), d'autres peuvent être des déformations dialectales de noms peu connus, mais souvent ils ne correspondent qu'à des légendes locales de christianisation du paganisme. Dans certains cas (Saint-Droyre, Saint-Ignat), il est prouvé que ce sont des déguisements de noms toponymiques incompris qui n'ont aucun lien avec le christianisme.
Bibliographie: Bonnaud P. : Sur la géographie des noms religieux en France, Actes du Symposium de géographie hitorique de Nancy 1984, PUN, Nancy; Idem: Les toponymes religieux en Auvergne, esquisse géohistorique, Bïzà Neirà n° 53, 1987.