ROMAN (ART)
Fait de civilisation "emblématique" par excellence de l'Auvergne, pour reprendre un mot à la mode, l'art roman suscite continuellement des publications. Beaucoup ne font que rajouter de belles photos à la recopie plus ou moins simplifiée d'ouvrages plus anciens (articles de Louis Bréhier; Eglises romanes d'Auvergne du docteur Balme, Clermont-Ferrand 1955; Les églises romanes de Haute Auvergne d'A. de Rochemonteix, Paris 1902; Auvergne romane du chanoine B. Craplet, Paris, Zodiaque 1955; La sculpture romane d'Auvergne de Z. Swiechowski, Clermont 1973; Dictionnaire des églises de France, II b Auvergne, Limousin, Bourbonnais, [Forez], Paris 1966...). Le sujet semble si rebattu aux spécialistes de l'histoire de l'art auvergnat qu'en attendant un renouvellement qui surviendra inévitablement, ils se tournent vers d'autres. A tous les niveaux, de l'initiation simplissime à l'étude très spécialisée, il est facile de se documenter sur la question. C'est pourquoi nous n'essayerons pas de la résumer une ixième fois en quelques lignes.
Par contre, il n'est sans doute pas inutile de tenter d'évaluer ce grand phénomène sur le plan identitaire.
1. Ses préfigurations haut médiévales (sur lesquelles les vestiges sont malheureusement trop fragmentaires) et du début du moyen âge stricto sensu sont l'avant-dernière manifestation de l'art romain (et de son prolongement byzantin), tandis que l'art roman lui-même est encore une adaptation de ce dernier, mais en voie d'émancipation. D'autre part, l'art roman s'est largement développé non seulement sur le pourtour méditerranéen, mais au-delà. Donc on ne peut le présenter comme une manifestation de la "civilisation méditerranéenne" ni à plus forte raison de la prétendue "civilisation d'oc" face à une "civilisation d'oïl" ou "du Nord". Les appréciations fondées sur des oppositions simplifiées ne doivent pas empiéter sur la réalité des faits.
2. Par sa présence massive en Auvergne, l'art roman traduit cependant une prépondérance des relations avec l'aire péri-méditerranéenne de l'ancien Empire romain. Comme toujours en Auvergne, la réadaptation sera lente et progressive. Mais l'art roman auvergnat est très fortement typé. Et malgré son caractère austère, voire parfois fruste, il soulève un intérêt aussi grand que l'art roman poitevin, bourguignon ou aquitano - catalan. C'est la preuve que l'Auvergne a su trouver un style propre traduisant une certaine autonomie de l'inspiration artistique et atteignant une valeur esthétique convaincante.
3. Les spécialistes hiérarchisent fortement les édifices en fonction de la valeur artistique qu'on leur reconnaît (cf le "églises majeures" qui résultent d'ailleurs en partie d'une sorte de "centrisme" bas auvergnat et clermontois : songeons à l'intérêt exceptionnel de maint édifice vellave et cantalien). Mais les Auvergnats d'une part et beaucoup d'amateurs éclairés d'autre part accordent une grande importance à la densité du "petit patrimoine" d'églises et de chapelles rurales qui témoigne de la compacité culturelle de la population auvergnate aux siècles passés.
4. Les spécialistes n'ont pas fini de s'interroger sur les énigmes de l'ornementation romane (sculptures, dont le célèbre "bestiaire roman", fresques, adjuvants de l'architecture). En se plaçant dans une optique pluri- disciplinaire, et notamment en tenant compte d'acquis historiques et ethnographiques récents, ne peut-on se demander très sérieusement si :
- l'église romane, ramassée et sombre, surtout en Auvergne, est seulement le résultat d'insuffisances dans l'art de bâtir ou si elle n'a pas une valeur de "caverne mystique", d'écho transformé de "l'Eglise des catacombes" primitive qui marqua si fortement les esprits des chrétiens des premiers siècles ?
- dans l'atmosphère peu intellectualisée et non rationalisée du temps, l'ornementation n'est pas la réunion syncrétique, subtilement organisée par l'Eglise "ad majorem Dei gloriam" et toute naturelle chez les populations, de la symbolique chrétienne ascendante et des vestiges christianisés des anciens mythes gaulois et gallo-romains, encore chargés de beaucoup de réminiscences originelles, devenues indistinctes faute d'enseignement mais encore puissantes sur les esprits incomplètement acculturés.