Lexique identitaire

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ROMANISATION

Dans leur souci d'expliquer tout en l'exagérant la prétendue "opposition oc - oïl", certains comme A. Brun n'étaient pas loin d'opposer deux peuples quasi - éternels, puisqu'ils voyaient la "langue d'oïl" formée sous l'influence d'un substrat gaulois, tandis que la "langue d'oc" était le latin parlé par des populations antérieures, qui n'avaient été recouvertes que très superficiellement par les Celtes. Ce point de vue, encore sous-jacent quoique inexprimé dans beaucoup de conceptions ne tient pas debout : nul fait historique ne corrobore cette prétendue opposition ethnique et les limites entre les deux supposées langues ayant varié sur un étendue importante, il est difficile de donner au substrat méridional une grande permanence ici, une évanescence là. Il est d'ailleurs bien connu maintenant que la celtisation fut maxima dans le Nord-Est et le Centre et que les substrats indigènes étaient aussi importants à l'Ouest qu'au Sud. Le philologue allemand Bodo Müller a rappelé avec juste raison que les particularités des langues néo - latines résultent avant tout des conditions dans lesquelles le latin s'est répandu et a supplanté les langues des peuples soumis. Il faut se rappeler aussi qu'une langue disposant d'anticorps aptes à éliminer les corps étrangers, les restes des langues disparues s'amenuisent avec le temps et ne doivent pas être surestimés. Ils sont plus tenaces dans la toponymie, dans certains faits phonétiques et de syntaxe que dans la morphologie et le vocabulaire. Ils ne sont pas non plus éliminés au même rythme et pas tout à fait dans les mêmes proportions dans les plaines ouvertes et sur les montagnes écartées et peu pénétrables, qui montrent aussi des archaïsmes et des décalages dans le legs de la langue dominante. Renvoyant pour un exposé plus complet à P. Bonnaud : Grammaire générale de l'auvergnat à l'usage des arvernisants, Cercle Terre d'Auvergne, Chamalières 1992, on se contentera ci-après de quelques lignes directrices hiérarchisant les faits fondamentaux:
  • L'unification politico - administrative et l'économie ouverte de l'Empire romain créaient le besoin d'une langue commune. Mais, dans le contexte de la circulation lente, l'effacement des langues des peuples soumis était loin d'être achevée lorsque l'Empire s'effondra : Saint Jérôme atteste la vitalité du gaulois au V° siècle à Trèves, région frontière où la présence romaine avait été très forte et très continue.
  • La progression du processus de romanisation a dépendu:
de la durée : près d'un siècle de plus et à l'apogée de la puissance romaine en Narbonnaise , zone d'origine du provençal et du languedocien que dans le reste de la Gaule, sans compter que l'influence romaine y était forte bien avant la conquête nominale;
de la proximité: les régions méridionales (d'oc) jouxtaient le coeur méditerranéen de l'Empire, elles étaient reliées à lui par le maximum de voies terrestres et maritimes, la densité des villes et leur conformité au type romain y étaient maxima.
de l'intégration par les communications: l'espace médian (médioroman) a été romanisé par de grandes voies Est-Ouest à partir de la Cisalpine et du bassin rhodanien. Le Nord-Est de la Gaule, proche du limes, était mieux irrigué que le Nord-Ouest (qui deviendra la Neustrie et où naîtra le français d'une "résurgence indigène" influençant plus facilement le latin très rural de régions sans grande ville). Vers la fin de l'Empire romain, il y avait en Gaule trois secteurs déjà potentiellement distincts de romanisation : le Midi, le territoire médian avec le Nord-Est, le Nord-Ouest.
  • D'autres modalités ont joué, leur influence étant accrue par les conditions de la circulation lente: origine des colons et légionnaires s'installant, des administrateurs (même là où ils étaient peu nombreux ils donnaient le ton); comportement de l'aristocratie gauloise (qui joua le jeu de la romanisation en Arvernie); régime colonial (la cité des Arvernes bénéficia du privilège important et rare de Civitas libera). C'est pourquoi G. Duby a pu écrire que l'Auvergne était "un îlot de romanité préservé au coeur de la Gaule barbare" (il anticipait un peu: il aurait dû écrire: "l'Auvergne des plaines et des coteaux").
  • On est maintenant certain que la romanisation s'est achevée bien longtemps après la chute de l'Empire romain, donc dans le contexte de la Gaule barbare. Le Midi garda ses relations privilégiées avec le monde méditerranéen bien au-delà du haut moyen âge. Le Nord, base de la langue d'oïl (donc du français) fut marqué à la fois par ses origines belges, sa ruralité à l'époque romaine, un superstrat germanique plus important qu'ailleurs et la coupure relationnelle avec le reste du pays imposé par les guerres mérovingiennes incessantes. La Gaule médiane évolua sur un fond indigène plus stable, dont les particularités régionales furent exaltées par la prépondérance des relations à courte et moyenne distance et le développement de tendances autarciques, anciennement perceptibles en Auvergne en particulier.
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