THIERS
Le vieux blason populaire d'Auvergne disait "Thiers le peuplé", faisant allusion au grouillement de vie dans les rues étroites et les quartiers compacts de cette ville industrielle dévalant vers la Durolle, rareté dans le tissu rural de l'Auvergne d'autrefois.
L'originalité de Thiers était très forte et il en reste quelque chose: histoire industrielle longue et complexe (armes et coutellerie dès le XIV° siècle, papeterie qui dut émigrer en Ambertois après des conflits sociaux au XVII° siècle); système de la "manufacture dispersée" (nombreuses opérations faites à domicile); ouvriers d'esprit très indépendant, pétris de ruralité, aimant leur jardin et leur vigne; classe ouvrière restée fermement pré-marxiste (attachement à la propriété); esprit anarchisant rouspéteur mais aimant l'ordre; anticléricalisme démonstratif (courant d'enterrements civils sans équivalent en Auvergne, suicide de ceux qui "en avaient assez de la vie"); mais croyance en Dieu faisant souvent bon ménage avec le dénigrement des "curés"; goût des franches ripailles corporatives où l'on chante en "patois" des airs gaillards (voir Bigay); comme à Saint-Etienne, modèle analogue de ville ayant de longues traditions industrielles, longue persistance de l'usage du "patois"; même importance du bien manger (les produits du porc avant tout); même surnoms identificateurs (Bitords à Thiers, Gagas à Saint-Etienne); même recrutement de la plus grande partie de la population dans une aire géographique restreinte, gage de cohésion mentale.
Ces particularités se résorbent peu à peu avec la disparition ou le déclin des générations anciennes, le déplacement de l'habitat moderne vers le val de Dore, l'émigration des mieux formés, une immigration d'origine lointaine qui ne s'intègre pas toujours facilement. L'avers de cette médaille est une remarquable modernisation industrielle récente, appuyée sur un sens des techniques devenu inné, sur une ingéniosité exceptionnelle de cette population dans le domaine mécanique, sur une habileté manuelle et un sens pratique que l'on a déjà dans le ventre de la mère.
Conséquence de cette modernisation, Thiers perd des habitants et une satellisation accrue envers Clermont se profile, mais l'activité demeure: la région thiernoise est, avec l'Yssingelais la partie de l'Auvergne qui a le mieux résisté aux crises à répétition et aux poussées de chômage d'après la guerre du kippour (1974). Quant au vieux Thiers, pittoresque mais souvent délaissé, il mériterait une mise en valeur touristique qui profiterait à son remarquable Musée de la Coutellerie.
Il faut bien parler de "région thiernoise". Outre une partie rurale (l'influence de Thiers est prépondérante en Varenne et encore perceptible en Billomois), elle va de Ris et de Puy-Guillaume au-delà de Courpière sur la Dore et englobe le bassin durollien et la Montagne thiernoise où l'on observe les mêmes caractéristiques sociologiques, les mêmes parlers (moins influencés par le français en montagne), une même histoire industrielle (en moins complexe), une même réussite de la rationalisation industrielle actuelle (cf. la zone de Racine à la sortie d'autoroute Thiers-Est - mais bien d'autres lieux aussi), ruine de l'agriculture (remplacée par les plantations de conifères) sous la concurrence de l'industrie et suburbanisation massive des villages anciens dont l'aspect se transforme entièrement dans les années 90.
Bibliographie. Paul Combe: Thiers, les origines, l'évolution des industries thiernoises, leur avenir, Clermont-Ferrand, de Bussac 1956; Pays de Thiers, le regard et la mémoire, collectif, sous la direction de D. Hadjadj, Clermont, IEMC 1989; P. Bonnaud, M-F Gouguet, K-H Reichel: Abrégé de grammaire des parlers du Nord-Est de l'Auvergne, Chamalières, Cercle Terre d'Auvergne 1987. La revue Bïzà Neirà a publié un grand nombre d'articles (textes, ethnographie et traditions, toponymie, etc...) sur la région thiernoise: voir le n° 107-108,Tables générales.