LANGUEDOC ET LANGUEDOCIEN
Comme toute notion provinciale, le Languedoc recouvre plusieurs réalités distinctes qui apparaissent et évoluent successivement de la manière suivante :
1. Le Languedoc historique. Il est l'héritier de l'aire d'établissement des Ibères en Gaule, puis du peuple celte des Volques (partagé déjà cependant entre Arécomiques à l'Est et Tectosages à l'Ouest, division appelée à se reproduire), puis de la fraction occidentale de la Narbonnaise romaine dont Dioclétien fit la Narbonnaise I et l'Antiquité tardive la Septimanie. L'épisode historique décisif est celui du Comté de Toulouse, qui atteint son maximum de prospérité et d'extension entre le IX° et le XII° siècle avant d'être abattu par la Croisade des Albigeois. Au sommet de sa puissance, le Comté de Toulouse, rival de la France capétienne empiéta largement sur la Gascogne, la Guyenne et le Sud du Massif Central jusqu'en Gévaudan et dans le Carladez aurillacois. Il dépassa le Rhône en Provence et en Dauphiné méridional. L'apparition et le développement de Montpellier fut un élément décisif de sa pénétration dans le Massif Central. D'un point de vue auvergnat, si la rivalité Paris - Toulouse s'était perpétuée, il est inéluctable que l'Auvergne eût été un champ de bataille ruiné par des guerres à répétition et que, par exemple, plus une église romane ne serait debout. A partir du XIII° siècle, les territoires subjugués par le Comté de Toulouse connurent des sorts divers, mais l'emprise sur le SE du Massif Central se maintint via le Gouvernement et le Parlement de Toulouse, puis la Généralité de Montpellier, s'étendant même au Velay et au Vivarais.
2. Le languedocien, langue d'oc méridionale centrale, a pour base géographique la Septimanie, probablement accrue dès l'origine de l'Albigeois et d'une partie du Rouergue et du Quercy. La prospérité de Toulouse et du Bas-Languedoc à la fin du haut moyen âge élargit cette aire en accroissant le rattachement du Massif Central méridional (voir Aurillacois pour comprendre les processus économiques et culturels à l'oeuvre alors). On peut en outre considérer qu'il se forme un vaste Croissant de parlers variablement languedocianisés en fonction de la force, de la durée et du lieu d'origine de l'empreinte : le Gévaudan au NE, la Gascogne orientale à l'Ouest conservent une partie des caractères de leur substrat. La Guyenne, dans sa partie allant du Bergeracois à l'Aurillacois subit une languedocianisation phonétique et morphologique très poussée, tandis que le vocabulaire reste assez distinct (voir Guyennais). Il est clair que si l'expansion toulousaine avait pu se poursuivre au-delà du XIII° siècle, ces territoires auraient été linguistiquement absorbés d'une façon plus complète encore, à un degré analogue à ce que le français a réussi dans le Bassin Parisien.
La chancellerie royale française avait appelé Occitania (équivalent savant de Languedoc en latin, fabriqué par les scribes sur le modèle d'Aquitania) le territoire annexé du Comté de Toulouse correspondant à l'ancienne Septimanie. On en tira ensuite le nom d'occitan, équivalent de languedocien. Exhumés de l'oubli qu'ils connurent à l'époque moderne, ces termes nés d'une domination extérieure et de fonctionnaires étrangers connurent une évolution contemporaine complexe sur laquelle le livre remarquable d'Henri Barthés : Etudes historiques sur la "langue occitane" , Saint-Geniès -de-Fontédit 1987 a fait une lumière décisive (voir occitan, Occitanie). Il redevient clair, devant la révolte des défenseurs des patrimoines régionaux contre le nivellement, que ces termes sont en passe de regagner leur berceau originel, le Languedoc et l'aire linguistique languedocienne, les seuls territoires où ils peuvent se prévaloir d'un certain ancrage (tout relatif d'ailleurs).
3. Le Languedoc administratif (région Languedoc-Roussillon) résulte en grande partie du vocabulaire provincial réformé par les géographes de l'école de Vidal de la Blache qui cessèrent d'employer le mot pour l'Aquitaine orientale toulousaine devenue la région administrative Midi-Pyrénées. Cette division exprime aussi la concurrence entre Toulouse, capitale naturelle du Languedoc et Montpellier, grandie comme un petit "Paris-sur-Méditerranée", disposant d'appuis étendus dans le monde politico-médiatique parisien, favorisée par le développement du tourisme littoral et l'attraction résidentielle de la Méditerranée, appuyée aussi sur les rêves barcelonais d'un "arc méditerranéen" dans le cadre européen. Mais l'économie (malgré le renouveau du vignoble), plus largement subventionnée que celle de la plupart des régions françaises, n'est pas à la hauteur des ambitions et, si la politique européenne de "désubventionnement" se maintient, devrait connaître des heures de vérité assez rudes.
Une autre réalité languedocienne devrait rester présente à l'esprit : la carte des anciens évêchés (v. Sinclair S. : Atlas de géographie historique, Paris, SEDES 1985) montre déjà un certain "cantonalisme méditerranéen". Des villes fières de leur ancienneté (Nîmes, Béziers, Perpignan) acceptent mal la subordination et cherchent à maintenir leur autonomie de fonctionnement et leur aire privilégiée de relations. C'est le résultat d'une urbanisation dense, ancienne et du rôle direct de tutelle que la ville méditerranéenne a toujours joué sur les campagnes voisines (Voir Bonnaud P. : La ville, deux origines, deux filières in Géographie historique des villes de l'Europe occidentale, Paris 1986).
4. Le Languedoc et l'Auvergne. Ils sont désormais mieux reliés par l'A 75, alors qu'historiquement le Bas-Languedoc est un des voisins les plus étrangers aux divers systèmes de relations de la grande majeure partie de l'Auvergne. Sète s'offre à devenir le "port de l'Auvergne". Si l'opération actuelle [2001] de promotion politico-économique d'une version nouvelle du Massif Central (déporté vers le Midi et coupé de sa partie nord - orientale la plus vivante) réussit, Montpellier, avec Barcelone derrière, est prête à manger les marrons que les promoteurs auvergnats de l'opération auront tiré du feu en croyant agir pour Clermont. Un fort déséquilibre démographique se développe, le Languedoc étant une des principales régions françaises d'immigration. Or, l'économie languedocienne n'est pas productive, les "services" masquent mal son vide et les partenaires réels de l'économie auvergnate sont ailleurs (Rhône-Alpes en premier lieu) tandis qu'il y a plus de réserves de développement de synergies du côté de plusieurs autres régions. Cela devrait inciter au discernement dans la promotion - par ailleurs souhaitable, comme toute diversification en économie ouverte - des relations dans cette direction.