LE, LOU, ARTICLES DEFINIS ET LEUR PLURIEL
Du fait des illusions causées par l'extension indue du concept fourre-tout de "langue d'oc" à notre région, certaines gens qui ne connaissent rien à l'auvergnat croient que lou est l'article défini singulier de notre langue. Aussi voit-on des associations pseudo-patoisantes ou des commerces (principalement des auberges : Lou Cantou) l'utiliser. La vérité est bien différente.
Le est la forme largement prédominante. Il s'étend jusqu'à l'Artense septentrionale, la Ribeyre langeadoise, le Velay au Sud du Puy et aux environs de Tence. Lou le relaye au Sud (Cantal auvergnat, Pays saugain, Velay méridional, Montagne vivaroise).
Les anciens félibres croyaient - et cette erreur reste présente dans certains esprits - que le était le résultat de la francisation. Déjà Benezet Vidal, dans ses écrits les moins méridionalisés, employait lou systématiquement et Henri Gilbert, Peyroche, Boncompain l'utilisaient, soit par choix, soit sous la pression de confrères. Un certain nombre de philologues acquis à "la langue d'oc", c-à-d à la méridionalisation artificielle de l'auvergnat se gardaient de las détromper.
Pourtant la réalité proteste contre cette violence faite à la vérité de notre langue, comme cela a été prouvé par P. Bonnaud : Témoignages onomastiques de re, ancienne forme de l'article sujet en auvergnat, Fichier onomastique de l'Auvergne [FOA], CRDP de Clermont et Bïzà Neirà n° 50, 1986-2.
Cet article rappelle que, comme tout le gallo-roman (et non la seule "langue d'oc") l'auvergnat médiéval possédait une déclinaison à deux cas : sujet (le) et régime [objet direct] (lou). Lorsque cette déclinaison a périclité, certains dialectes gallo-romans, au Nord comme au Sud, ont opté pour le (par exemple dans les Alpes et - ô paradoxe ! - dans la région toulousaine), d'autres pour lo (on prononçait encore ainsi à la fin du moyen âge ce qui est devenu lou par la suite). Leur délimitation en Auvergne différait peu de celle de nos jours : elle passait par le Sancy, les abords de Brioude, les caribassa du Doulon et de la Senouire et le Livradois moyen. Le haut Livradois ,le versant ouest forézien (adossé lui-même à la province du Forez dont le dialecte franco-provençal avait lou ) gardaient alors cet article. Par la suite, comme toutes les innovations linguistiques parties de la région clermontoise, le a élargi son domaine. Il y avait des raisons objectives à cela, notamment la perte des consonne finales et du -s pluriel, qui obligeaient à des réfections morphologiques pour conserver la clarté du discours. Il n'y a nul besoin d'invoquer l'influence directe du français qui n'a pu jouer qu'en fin de période moderne (à partir de 1750 en gros). On notera qu'un îlot isolé de lou subsiste encore dans le Sud du haut Forez auvergnat (cantons de Viverols et de Saint-Anthème pour l'essentiel.
C'est à la suite de la disparition des deux cas que l'article le, transformé en re s'est ancré dans des toponymes assez nombreux de la zone de lou.
Comme la langue n'est pas isolée du reste du contexte humain, n'est pas un mécanisme fonctionnant en circuit fermé (ce que veulent ignorer certains linguistes partisans), il est inévitable que dans notre région comme ailleurs le choix entre le et lou, loin d'être arbitraire, a été influencé par les systèmes de relations dominant à l'époque : celui du Nord de l'Auvergne se réorientait vers la France du Nord (mouvement commencé depuis longtemps : cf. Fournier G. : Le haut moyen âge, PUF, Paris, Collection Que sais-je ?; voir aussiGothique) tandis que celui du Sud restait tourné de façon prédominante vers les pays rhodaniens et l'Aquitaine. Mais cette logique d'ensemble est tout à fait distincte d'une influence mécanique du français, langue - sujet, sur l'auvergnat, langue - objet.
L'article cité ci-dessus montre aussi que, dans le choix des pluriels, l'auvergnat a été guidé uniquement par une logique discriminative : la nécessité de bien distinguer le pluriel du singulier, alors que le -s originel issu de l'accusatif latin s'érodait et disparaissait sur des étendues de plus en plus vastes. Quatre combinaisons se sont progressivement fixées :
1. Le type auvergnat septentrional combine le singulier issu du cas sujet et les avatars pluriels du cas régime (lau, loû, leù, lu).
2. Le type auvergnat médian opte pour le cas sujet aux deux nombres : le, li (originellement les, conservé sous la forme lei dans certains parlers). Le -s se maintient en phonétique syntactique devant les mots commençant par c, ch, f, p, t, (voir s+ c, ch, f, p, t).
3. Le type vellave méridional, influencé par les parlers languedociens ou languedocianisés ou provençaux archaïques du Sud Est du Massif Central, a le cas régime aux deux genres (lou, loui, qui est lous devant c, ch, f, p, t).
4. Le type cantalien garde les traces d'un système analogue (voir P. Nauton : Atlas linguistique du Massif Central) mais, sous l'influence probable des parlers d'Auvergne médiane ou pour des raisons de mécanique interne (le féminin pluriel lai évoluant vers lei puis li) il a un système mixte : lou au singulier, li / lei (lis / les devant c, ch, f, p, t) au pluriel.
On voit donc qu'une logique fonctionnelle strictement auvergnate s'est substituée à la logique étymologique avec des types 1 et 3 à 4 formes (masculin et féminin singulier, masculin et féminin pluriel) et des types 2 et 4 à 3 formes (pluriel unifié).