Lexique identitaire

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LIMAGNE

Mot employé au singulier soit dans un sens général soit pour désigner la Grande Limagne ou Limagne clermontoise; ou au pluriel pour distinguer plusieurs parties de la dépression du Val d'Allier. En auvergnat Lemanhà; habitants lemanher / lïmanhîer. Il semble provenir d'une racine ancienne nommant une étendue marécageuse ou boueuse (cf plusieurs toponymes et sens encore vivant aux confins du Brivadois et du Velay) plutôt que du gaulois lemos : orme, cette espèce peu sociale pouvant difficilement attirer l'attention ou provoquer une vénération susceptible d'en faire le blason de toute une contrée. Dépression tectonique plus profonde au Nord et à l'Ouest qu'au Sud et à l'Est. Sur un fond très inégal de socle divisé en plusieurs blocs, le remplissage sédimentaire comprend : des terrains détritiques tertiaires (arkose); des marnes et calcaires oligocènes qui forment l'essentiel; à l'Est de la Grande Limagne, un recouvrement de sables détritiques mio-pliocènes infertiles (Varenne), resté souvent boisé (Randan, Marcenat). A partir de Châreaugay sur la bordure ouest et du parallèle de Clermont dans l'ensemble de la dépression, des reliefs volcaniques très diversifiés parsèment la Limagne : pointements, buttes, tables (cau(r) et chau en auvergnat) caractéristiques des Limagnes du Sud. La banalisation technocratique du langage conduit à substituer de plus en plus l'expression incolore de Val d'Allier à la notion de Limagne, riche de contenu identitaire et d'originalité, en ne voulant retenir qu'un sens agricole. Pour sauver cette dénomination il faut :
  • voir le danger et l'analyser;
  • mieux cerner le contenu du mot de Limagne :
Première acception : la Limagne est, aux yeux des gens des plateaux qui l'entourent, le "bon pays" aux récoltes riches et régulières, où l'on peut cultiver tout ce qu'on veut et par conséquent faire face à tous les changements de conjoncture, voire de système économique; qui porte la vigne prestigieuse et les arbres fruitiers, ornement des paysages intégralement humanisés et ordonnés, tels que les aiment les Auvergnats. Deuxième acception : dans la dépression elle-même, les habitants distinguent avec soin "la plaine" (souvent relativement accidentée) qui est la Limagne proprement dite et les coteaux dont les terroirs variés se prêtaient particulièrement bien à la polyculture. Les coteaux (türau) n'ont pas de nom géographique d'ensemble, mais leurs habitants en ont un en auvergnat (les coutaud). Ils se considéraient comme l'aristocratie rurale de l'Auvergne "traditionnelle". Troisième acception : à cause de la variété des milieux, on distingue la Grande Limagne au Nord de Clermont, la Limagne des Buttes entre celle-ci et le horst de Saint-Yvoine, la Limagne d'Issoire, la Limagne de Brioude (et quelquefois celle de Langeac où cependant manquent les terrains sédimentaires).
La Limagne a une importance fondamentale pour l'Auvergne, elle en fait la région la plus favorisée et la mieux articulée du Massif Central et de toute la France centrale :
  • par sa richesse agricole, qui ne se limite pas aux célèbres "terres noires" (rendzines provenant de l'érosion anthropique des coteaux aux époques pré- et protohistorique : les marnes aussi sont très fertiles;
  • par le prestige de cette richesse : elle permet de nombreuses combinaisons complémentaires avec les pays environnants; on a cherché à l'imiter : autour, une "zone de décalque limagnais" s'est efforcée de hisser ses modèles économiques en altitude;
  • par sa colonne vertébrale de coteaux, lieu privilégié d'échanges entre milieux complémentaires, de marchés, donc de villes et de bourgs;
  • par la facilité de pénétration profonde qu'elle offre dans la masse compacte des plateaux du Massif Central.
La Limagne est donc une réalité qui se prête parfaitement au développement d'un de ces "mythes positifs" qui cimentent l'identité d'une population. A l'heure où le concept millénaire d'Auvergne est menacé par des ersatz conjoncturels dont la variété même souligne la fragilité ("Massif Central" dans son acception politicoc -technocratique, Occitanie...), elle l'épaulerait puissamment. Mais la perte des repères n'est pas la seule menace, il y en a de plus concrètes : l'étroitesse territoriale (2000 km²) s'adapte mal aux productions massives de l'économie agricole actuelle; surtout, l'urbanisation sauvage détruit irrémédiablement des terres arables parmi les plus riches du monde et des paysages dont l'harmonie frappait les observateurs, au point que les coteaux billomois ont pu être appelés "une autre Toscane". Bibliographie : la revue Bïzà Neirà a publié une série de 5 articles de P. Bonnaud (n° 56 à 60) et 1 de P. Mazataud (Varenne, n° 65) consacrés à la Limagne, qui a fait antérieurement l'objet de thèses remarquables de géographie régionale de Max Derruau : La Grande Limagne auvergnate et bourbonnaise et de Lucien Gachon : Les Limagnes du Sud et leurs bordures montagneuses, devenues de véritables classiques.
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