Lexique identitaire

A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z 

LIMITES ET FRONTIERES

A une époque où tout se prétend "sans frontières" mais où les idéologies et les méthodes de conditionnement dressent des murailles agressives entre les humains, il est inévitable que ces notions subissent les dévoiements qu'entraîne la dérive générale des concepts sous l'influence des terrorismes intellectuels en lice. Essayons de remettre un peu les choses à l'endroit dans la faible meure de nos moyens de provinciaux auvergnats arriérés.
  • Le prototype latin de limite, limes, a pour sens premiers "sentier, passage entre deux champs, route, sillon, trace". C'est seulement sous le Bas Empire mis en état de siège par les Barbares qu'il prit le sens de "limite, frontière, rempart" (Ernout-Meillet :Dictionnaire étymologique de la langue latine; et F. Gaffiot : Dictionnaire illustré latin - français). Le contenu linéaire prédominant du mot a favorisé le passage à des sens abstraits (limites de pluviosité, de température, d'altitude, de faits linguistiques : isohyètes, isothermes, isohypses, isoglosses). Si l'on collectionne les usages du mot, depuis ceux du langage courant ("il y a des limites") jusqu'aux emplois savants, on s'aperçoit que la limite est conçue comme partie d'un faisceau embrassant un espace spécifique. Les isoglosses qui s'écartent variablement et parfois s'entrecroisent sont caractéristiques de bandes périphériques aux foyers linguistiques principaux. Il est donc erroné de parler par exemple de "la limite de la langue d'oc et de la langue d'oïl" (voir Croissant etarverno-bourbonnais).
  • Lorsqu'une limite (au sens secondaire latin) devient unique, c'est en fait une "frontière", notion qui a toujours supposé la séparation et un certain degré d'affrontement entre deux blocs homogènes. Il est donc encore plus absurde de parler de la "frontière oc - oïl" car rien ne corrobore ce mot sur place, ni la réalité linguistique nuancée, ni le comportement des populations qui n'ont nullement le sentiment d'être adversaires, ni la lutte linguistique (il y a eu subversion linguistique par le français, non lutte), ni la fixité (les faits dialectaux en jeu évoluent continuellement de diverses manières et il y a beau temps que le français a dépassé la prétendue "frontière"). La notion de frontière ayant une connotation affective forte, du fait des combats qu'elle inclut, il serait bon de ne pas jouer avec elle. Malheureusement, son emploi est riche en extensions abusives ("les frontières du Bourbonnais, de l'Auvergne", "les frontières régionales"). Sur ce dernier point, il faudrait devenir conscient du fait qu'à une époque où les frontières étatiques, qui ont eu des justifications historiques et en gardent certaines, tendent à s'abaisser, il vaudrait mieux ne pas élever des "frontières" artificielles à l'intérieur d'une France qui aurait bien besoin de rassembler toutes ses forces pour garder son rôle dans la civilisation, que ces nouvelles "frontières soient dressées sous prétexte de "langues", de régions, voire "d'Europe des régions" ou pour satisfaire des bureaucraties administratives "régionales" désireuses de se constituer des chasses gardées.
Quant à l'idéologie "sans frontières", il est possible qu'elle soit à créditer de bonnes intentions, mais l'enfer en est pavé et il faut bien garder à l'esprit que les frontières correspondent - avec des modalités d'application qui doivent certes subir des adaptations selon les époques - à des réalités objectives, qui se vengent lorsqu'elles sont enfreintes et d'autant plus cruellement qu'elles ont été refoulée avec plus d'intransigeance et de durée.
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z