Lexique identitaire

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MEDIOROMAN, MEDIOROMANIE

I. Il faut comprendre avant tout que ces deux mots ne se posent pas en concurrents d'occitan et d'Occitanie.
  • On prétend que l'occitan est une langue et même une langue "une". Aucune langue médioromane n'est revendiquée. Il y a un type linguistique de la France médiane, différent de la langue d'oïl de la France du Nord et des langues d'oc du Midi. Il recouvre la France médiane, de la Loire au Lot, de l'Atlantique au Jura et aux Alpes. Une langue y était certes en puissance, mais l'histoire a été contraire. On ne la refait pas. Les correspondances qu'on relève sur cette étendue sont de nos jours une preuve d'un espace privilégié de relations dans la longue durée géohistorique. Sous cette forme il peut resurgir, car nous ne sommes pas au bout de l'histoire.
  • A plus forte raison, il n'y a pas de revendication d'un pays ou d'une nation qui s'appellerait Médioromanie. Actuellement, ce mot est une commodité descriptive pour nommer l'espace privilégié de relations évoqué ci-dessus. Tout au plus pourrait-il reparaître un grand espace suprarégional et interrégional ayant cette configuration, mais sans frontières, si des conditions nombreuses et aléatoires étaient réunies.
II. Grandes étapes. Les mots sont récents, mais beaucoup d'éléments qui justifient le concept ont été mis en évidence depuis longtemps par des chercheurs de disciplines différentes (géographie agraire, ethnographie, droit, histoire, histoire de l'art...). Apparus en 1973 dans la Revue d'Auvergne sous la plume de P. Bonnaud, ces deux mots ont coordonné et élargi des apports destinés à confluer, mais encore dispersés et cloisonnés. Ils ont par là même créé des perspectives nouvelles et plus vastes. Géohistoriquement, on peut distinguer 6 étapes : 1. Préfiguration globale : la Celtica, partie de la Gaule peuplée par les Celtes de la Seine à la Garonne. Elle fournit un substrat ethno - culturel de base. 2. Préfiguration partielle. A l'époque gallo-romaine, la romanisation emprunte , à partir de la Gaule cisalpine et de Milan, capitale économique du monde romain occidental des grandes voies de communication disposées d'Est en Ouest dans la Gaule médiane, via les relais principaux de Lyon et de Vienne. La hiérarchisation du système colonial romain donne deux variantes à cet espace romanisé au coeur de la Gaule (origine des deux termes) : centro - occidentale, l'Aquitaine augustéenne (puis l'Aquitaine première : Gaule centrale; et l'Aquitaine seconde : Gaule centro - occidentale, de Dioclétien et de Constantin); d'autre part, la variante centro - orientale comprenait la Viennoise, la Lyonnaise et la Séquanaise. 3. Premier refoulement haut médiéval : la domination franque, qui coupe la Gaule du Nord du monde méditerranéen, favorise l'émergence du type linguistique français, marqué surtout par la résurgence du substrat celtique plus que par l'empreinte du superstrat germanique. Au X° siècle, ce type linguistique s'étend jusqu'à une ligne Nantes - Sologne - Porte d'Alsace ("ligne von Wartburg" : cf. W. Von Wartburg : Les origines des peuples romans, Paris 1942). 4. Second refoulement. Le conglomérat politico-économique français ayant pour base les régions céréalières riches du Bassin Parisien central s'étend par conquête et contact. A la veille de la guerre de Cent Ans, il a gagné linguistiquement jusqu'à une ligne approximative partant des environs de Saintes, gagnant ceux de Niort, de Poitiers, traversant le Sud du Berry et du Nivernais puis remontant vers les plateaux du Jura central. Du côté du Sud, apparaît un Croissant méridional du Bergeracois à l'Aurillacois, puis enGévaudan, résultant de l'influence toulousaine, rivale de celle de la France jusqu'au XIII° siècle. L'influence de la Basse Provence remonte dans les Alpes du Sud. 5. Troisième refoulement. La Reconstruction des Campagnes et le système fiscal des Cinq Grosses Fermes, relayant le rôle du "Royaume de Bourges" poussent la francisation jusqu'à la prétendue "limite oc - oïl" du XV° au XIX° siècle : voir Terracher (effet). A l'Est le franco-provençal subit une subversion française très forte, accélérée par les guerres d'Italie (et, dans les Alpes, l'influence francisante de l'Etat savoyard) en Bourgogne Jura, Savoie, vallée de la Saône et du Rhône jusqu'au Sud de Lyon. C'est à ce point de l'évolution qu'intervient la philologie débutante (v. langue d'oc - langue d'oïl). Elle ignore les langues régionales de la France médiane. Elle a tendance à tout rapporter à ce qu'elle connaît : le français au Nord, le provençal et le languedocien au Sud. D'où la simplification fautive de "l'opposition de la langue d'oc et de la langue d'oïl", transformée ensuite en "acquis" intouchable puis en véritable mythe national (et nationaliste dans quelque milieux méridionaux). 6. Que restait-il? Au Nord de la ligne von Wartburg, la francisation avait été pratiquement totale : les chansons du Beauceron Gaston Couté sont du français avec un nombre insignifiant de mots "patois" qui sont un écho plus que moribond du langage originel dont on repère plus de traces dans la toponymie. Entre la ligne von Wartburg et la prétendue "frontière oc - oïl", le type français est devenu dominant, mais les parlers paysans (qui gardent des vestiges du moyen français, époque - clé de la francisation), conservent aussi des traces nombreuses des dialectes originels. Ces traces sont significativement apparentées aux langues régionales conservées : limousin, auvergnat, forézien, dauphinois. Ces dernières ont aussi évolué en empruntant aux formes originales défuntes du Poitou (les Charentes étaient originellement limousines), du Berry, de la Bourgogne. A partir de la grande erreur initiale de la philologie mentionnée ci-dessus, les langues régionales conservées et en particulier l'auvergnat subissent une guerre implacable qui se déroule en deux phases :
  • A l'époque du Félibrige (XIX° et début du XX° siècle, de 1880 à 1950 environ) guerre d'enfermement et de ghettoïsation dans la prétendue langue d'oc. L'auvergnat n'est pas à proprement parler combattu, mais il est discriminé, considéré comme une langue d'oc de seconde zone adultérée par l'influence française. La majeure partie des Félibres sont tolérants dans les faits malgré leurs préjugés, mais certains unificateurs comme Ronjat présentent le provençal comme le modèle à imiter. Le félibre auvergnat Michaliassubit cette influence, visible dans son oeuvre. Dans le public, ces idées, confusément répandues, ont contribué à saper la résistance de la conscience linguistique des Arvernophones et fait le lit de la francisation, les gens, quitte à changer de langue, préférant le français utile et prestigieux à la "langue d'oc" qui leur était objectivement plus étrangère.
  • Après 1968, se déclenche la bataille d'anéantissement menée par l'occitanisme avec des concepts tels que "la langue occitane et ses parlers locaux" et au moyen d'une imprégnation par les mots ("occitan" et "Occitanie" serinés à longueur de page, "auvergnat " étant tantôt rejeté, tantôt repris systématiquement comme synonyme mineur d'occitan afin de le priver de tout relief propre), d'un reformatage par un système niveleur d'écriture (l'écriture occitane prétendue "classique") et d'une doctrine linguistique uniformisatrice (voir occitan et Occitanie).
III. Et que reste-t-il ? - En réalité, il reste beaucoup, mais c'est à dégager d'une gangue épaisse d'interdits, d'intimidations, d'arguments-massue, voire de bluffs sur de prétendus "acquis" définitifs. Il faut d'abord se rendre compte que :
L'aire médioromane n'est pas un espace inerte, une terre à prendre par le plus hardi, une étendue sans civilisation propre destinée à arrondir passivement les prés carrés de ceux à qui il plaira de se la disputer. C'est un territoire d'interférences, certes. Mais ses habitants ont trié, sélectionné parmi les influences extérieures celles qu'ils admettaient et celles qu'ils rejetaient. Démêler ces choix et leurs raisons est déjà une recherche passionnante. Mais il existe en outre, dans toutes les branches des sciences humaines, un héritage qui est propre à la France médiane ou à ses grandes divisions. Sa mise au jour a une importance encore bien plus grande.
Ce mouvement vers la vérité, qui se double d'un mouvement vers la dignité - car beaucoup de gens de nos régions éprouvent une certaine lassitude à entendre les leçons des "maître ès langue et ès civilisation" du Nord et du Sud - est en cours. Il se manifeste dans l'oeuvre du Cercle Terre d'Auvergne et du Groupe de Souvigny, dans leurs publications, colloques et rencontres. Ces groupements n'étant retenus par aucune inhibition carriériste, l'action engagée qui a déjà un gros bilan à son actif ne s'arrêtera pas, sauf si le sort s'acharne sur ceux qui la conduisent ou si la civilisation sombre dans le chaos ou dans le nivellement intégral.
Orientation bibliographique
  • Bïzà Neirà, revue culturelle auvergnate bilingue, Cercle Terre d'Auvergne, 11 rue des Saulées, 63400 Chamalières, France (nombreux articles sur les questions médioromanes).
Première Rencontre : mai 2000 Seconde Rencontre : avril 2002
  • Bonnaud P. : Terres et langages, peuples et régions, thèse de doctorat ès lettres, 2 volumes, 52 cartes, Cercle Terre d'Auvergne, Chamalières 1981 (cet auteur a aussi publié de nombreux articles sur la question dans diverses revues).
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