Lexique identitaire

A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z 

CLERMONT ET MONTFERRAND

Les deux villes distinctes ont été réunies par un édit royal de 1630 qui demeura inexécuté par suite de la résistance des Montferrandais, redoutant non sans raison de voir leur personnalité dissoute dans l'ensemble. Il fallut attendre l'édit de 1731 pour que l'union entre dans les faits. Le maintien prolongé d'une zone peu urbanisée entre les deux agglomérations a perpétué le particularisme montferrandais dont subsistent de nombreuses traces, et pas seulement dans la fraction autochtone de la population devenue insignifiante (cf. le club sportif de l'ASM). La municipalité de Clermont-Ferrand a pris acte de cet état d'esprit : elle a un adjoint spécial pour Montferrand et une mairie annexe. Le nom de Clermont-Ferrand est une cote mal taillée. Il ne peut satisfaire les Montferrandais. La population auvergnate de souche, parlant de la capitale de l'Auvergne dans son ensemble dit toujours "Clermont". Le langage administratif et médiatique répand l'appellation double par l'obligation officielle et le matraquage répétitif. Or, c'est une violence faite aux traditions de notre population et ce galimatias sans racine rabaisse Clermont au rang de Clermont-en-Beauvaisis, Clermont-l'Hérault, Clermont-Dessus et Clermont-Dessous. Il méconnaît toute une évolution diverse dont il faut rappeler les étapes principales :
  • A l'époque gallo-romaine, Nemossos / Augustonemetum / Arverna réunit en une agglomération importante pour la Gaule la population d'habitats gaulois pré-urbains égaillés sur les coteaux environnants : débuts de la véritable urbanisation en Auvergne.
  • Le nom de Clermont, apparu dans l'Antiquité tardive (VI° siècle), exprime la prépondérance de la butte centrale et des préoccupations défensives dans un système socio-économique où les échanges et donc les villes régressent.
  • Leur renaissance au moyen âge assoit la prédominance de Clermont en Auvergne et au-delà, dans toutes les contrées qui gravitent autour de l'axe de l'Allier et de son système d'échanges complémentaires, grâce à des avantages sans équivalent de position : au coeur des coteaux prospères et peuplés, "bon pays" envié loin à la ronde; au contact des milieux les plus riches : Limagne agricole, hauteurs volcaniques favorables à l'élevage, plateaux aptes à la mise en valeur sur de vastes surfaces. Clermont est ainsi le centre nerveux de toutes les articulations autochtones, de toutes les complémentarités régionales.
  • A la même époque, apparaît Montferrand (attestation depuis le XI° siècle), non comme un concurrent véritable, mais comme une étape sur la route de France en Languedoc, un lieu de foires spécialisées dans le commerce du bétail (cf. les travaux de Josiane Teyssot et le nom de la race bovine ferrandaise, dont cependant les caractéristiques ne se fixent que beaucoup plus tard : voir l'étude de J. Blanchon dans Bïzà Neirà n° 33, 1982). Mais le déplacement des axes commerciaux principaux de la monarchie française vers la vallée du Rhône et le seuil du Poitou bloque le développement de Montferrand et limite les ambitions de sa bourgeoisie de négociants éleveurs et d'officiers du bailliage royal.
  • A l'époque moderne, il apparaît ainsi que les deux villes, quoique fort différentes, ne peuvent rester séparées : d'ailleurs les bourgeoisies multiplient les rapports. Ainsi, la famille Pasturel, qui donna deux écrivains remarquables en langue auvergnate au XVII° siècle, fréquenta les milieux instruits de Clermont. Après la réunion, Clermont absorbe toutes les fonctions en développement et Montferrand perd toute importance, malgré le maintien de quelques foires fréquentées (bétail, sauvagine).
  • Au XX° siècle, l'empire Michelin se développe en grande partie dans l'espace intermédiaire entre les deux villes qui s'emplit d'usines et de cités ouvrières. Montferrand devient une sorte de banlieue interne. Mais la formule des "cités Michelin", qui introduit la campagne dans la ville (maisons individuelles avec jardin) limite la prolétarisation sociologique (sinon économique). Celle-ci se produit cependant après 1950 avec une immigration massive qui n'est plus majoritairement auvergnate ni même européenne.
  • De toute façon, à l'issue des "Trente Glorieuses", l'agglomération clermontoise s'est tellement accrue que le tête-à-tête entre Clermont et Montferrand n'a plus de sens : les deux sont noyées dans une aire urbaine immense, distendue, complexe et hétérogène. Pour essayer de structurer ce qui est devenu le centre élargi polymorphe de ce vaste ensemble, une organisation de l'espace urbain de la commune de "Clermont-Ferrand" devient indispensable : d'où la transformation en cours le long de l'Avenue de la République : Place du I° mai, longtemps proche du terrain vague, aménagée, Centre République, grande salle de spectacles et de réunions Polydôme, stade Michelin rénové.
Mais les vieux quartiers de Clermont (Champgil, Saint-Alyre, Fontgiève...) avaient eu la vie dure, eux qui défendaient encore leur parler auvergnat comme un drapeau au XIX° siècle. Nous sommes à l'époque des identités particulières proclamées, sinon véritablement défendues. Reste donc à savoir ce qui subsistera de la longue ténacité identitaire montferrandaise dans une ville devenue cosmopolite, mais où il n'est pas impossible que certains considèrent le lieu d'habitat comme un substitut aux anciens enracinements perdus.
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z